Le chiffre déjà accablant des victimes, gonflé par les naufrages des derniers jours, ne cessera d’augmenter si l’Union et chacun des États membres ne prend pas immédiatement ses responsabilités et des mesures adéquates, comme cela incombe d'ailleurs à plusieurs États du continent africain et du Moyen Orient ainsi qu'aux organisations internationales concernées. Après la catastrophe de cette semaine, l’Union européenne a proposé un plan d’action en dix points. ENNHRI prend acte de cet effort et reconnaît que certains des point envisagés vont dans la bonne direction. Il accueille en particulier le renforcement des actions conjointes en Méditerranée et la refonte des engagements nationaux relatifs à la réinstallation et à la réinstallation d’urgence. Cependant, tant que la priorité européenne sera donnée à la seule défense des frontières extérieures, il n’y a aucune raison que la tragédie cesse. Le passage de 600 décès en 2013 à 3.500 en 2014 et même à 1.500 pour le seul premier trimestre de 2015 nous oblige à constater que l’Union européenne n’a pas attaqué le problème à sa racine : le manque de canaux de migration légale vers l’Europe. Les trafiquants d’êtres humains prospèrent quand des personnes en besoin de protection ou en recherche d’une vie conforme à la dignité humaine ont recours aux canaux de la migration irrégulière pour atteindre l’Europe. Combattre le trafic d’êtres humains est et doit rester une priorité. Mais centrer toute l’attention sur les réseaux criminels qui tirent profit du trafic d’êtres humains risque de reléguer au second plan les droits fondamentaux des migrants qui entreprennent ce voyage périlleux. La Déclaration Universelle des droits de l’Homme consacre le droit pour toute personne de quitter tout pays en ce compris le sien, ainsi que le droit de demander et d’obtenir l’asile dans d’autres pays. Le droit d’asile figure également à l’article 18 de la Charte européenne des droits de l’homme. La Convention des Nations unies relative au statut de réfugié consacre le principe de non refoulement. Ils doivent être respectés par l’Union européenne et par ses États membres. Depuis l’affaire Hirsi Jamaa (Cour européenne des droits de l’homme), il est d’ailleurs incontestable que même lors d’opérations de secours en haute mer, les États membres doivent honorer leurs obligations en termes de droits humains. Refuser aux migrants - s’ils les atteignent - de franchir les frontières européennes rend impossible l’examen soigneux de toute demande de protection internationale. Cette situation est même susceptible d’entraîner le refoulement de certains vers un pays où des mauvais traitements voire à des persécutions sont envisageables, ces pays étant principalement la Somalie, la Syrie, l’Erythrée et le Soudan. 

Comment l’Union peut-elle prévenir d’autres tragédies ?

Les options ne manquent pas. ENNHRI recommande, suivant en cela l’Agence européenne des droits fondamentaux, que les États membres s’engagent plus franchement en faveur de la réinstallation et des autorisations de séjour pour raisons humanitaires, avec le soutien financier de l’Union. L’ouverture de nouveaux canaux migratoires vers l’Europe devrait être envisagée sur la base des expériences du passé : les programmes d’évacuation humanitaire développés lors de la crise du Kosovo par exemple. Et l’activation de la directive 2001/55/EC sur la protection temporaire en cas de déplacement massif de population déplacée devrait être envisagée sérieusement. À court terme, la délivrance de visas humanitaires de courte durée offre un début de solution concrète au problème du trafic d’êtres humains. Les procédures de visas humanitaires se distinguent des procédures de réinstallation et des autres formes de séjour pour raisons humanitaires en ceci que seul un examen limité est mené extra-territorialement. Les États membres doivent maintenant passer à l’action : ils peuvent dès à présent envisager la mise en œuvre souple et généreuse des règles du regroupement familial pour les familles des personnes en besoin de protection internationale. Les États membres ne devraient pas se contenter de contribuer au développement de l’action de l’Union européenne – en ce compris l’ouverture de canaux de migration légale – mais il doivent utiliser la marge d’appréciation que leur offre le droit national en matière de droits des étrangers. Par ailleurs, la situation nous contraint à nous pencher, une fois de plus, sur le besoin d’une solidarité accrue entre États membres. Le système Dublin est incompatible avec les standards européens et internationaux en matière de droits humains, comme l’ont déjà déploré certaines institutions et agences européennes et internationales ainsi que plusieurs rapporteurs spéciaux des Nations unies qui ont souligné ses effets pervers tant sur les migrants que sur les pays du sud de l’Europe – les gardiens de l’Union – et l’impérieuse nécessité d’en revoir les bases ainsi que la mise en œuvre vers plus de flexibilité. ENNHRI n'ignore pas qu'à long terme les solutions pour attaquer à la racine le problème des déplacements massifs d'individus qui cherchent l'asile exigent l'action de plusieurs régions de par le globe et les efforts concertés d'un grand nombre d'acteurs. ENNHRI appelle également tous les États d'organiser une contribution proportionnée au développement durable et à la réalisation de tous les droits humains - civils, politiques, économiques, sociaux et culturels-, dans ces zones de migrations forcées ainsi qu'en Europe. En même temps, ENNHRi souligne la nécessité d'une action urgente pour faire face à la crise humanitaire qui se déroule sur les côtes européennes. ENNHRI et son Groupe de travail Asile et Migration appellent les institutions européennes et les États membres à agir ensemble dès aujourd'hui pour redonner la priorité à la protection des individus et pas seulement à celle des frontières extérieures. ENNRI appelle aussi les États membres à répondre à la crise humanitaire en cours conformément à leurs obligations internationales et sans oublier les solutions pratiques qui, dans le passé, ont permis de protéger des vies humaines et la dignité des personnes concernées. 

À propos ENNHRI

Le Réseau européen des Institutions nationales des droits de l’homme (“ENNHRI”) est composé d’institutions nationales des droits de l’homme (“INDH”) de l’Europe entière. Les INDH sont des institutions financées par l’État, indépendantes de leur gouvernement et dotée d’un large mandat légal ou constitutionnel en matière de promotion et de protection des droits fondamentaux. Les INDH sont accréditées par référence aux Principes de Paris des Nations unies de manière à garantir leur indépendance, leur pluralisme, leur impartialité et leur effectivité. ENNHRI est doté d'un Groupe de travail Asile et Migration, il travaille également avec ses partenaires de l'Agence européenne des droits fondamentaux (FRA), du Conseil de l'Europe et d'Equinet dans le cadre d’une Plateforme de collaboration sur l'asile et la migration.