Le tribunal correctionnel a statué sur un dossier de traite des êtres humains aux fins d’exploitation économique concernant 39 travailleurs dans le secteur du transport. 

Une société lituanienne et son directeur, un homme de nationalité lituanienne, sont poursuivis pour traite des êtres humains avec circonstances aggravantes, mais aussi pour non-paiement de salaires et déclaration Dimona incorrecte. Huit travailleurs se sont constitués parties civiles. 

À plusieurs reprises, la police judiciaire fédérale (PJF) de Flandre occidentale a vu des camions appartenant à une société lituanienne sur un parking du port de Zeebruges ainsi que leurs chauffeurs, dont les conditions de vie ne satisfaisaient pas aux normes minimales en raison de l’absence de commodités. La PJF a recherché des informations complémentaires dans des sources ouvertes et dans des bases de données gouvernementales, après quoi elle a procédé à un contrôle du parking en collaboration avec l’inspection du Contrôle des lois sociales (CLS). Treize camions ont alors été saisis sur ordre de l’auditeur du travail. 

Le dossier a révélé que la société lituanienne organisait des transports intérieurs en Belgique et des transports extérieurs de la Belgique vers la France et les Pays-Bas. Les travailleurs étaient à la fois des Lituaniens et des ressortissants de pays tiers, détachés de Lituanie en Belgique. Les prévenus estimaient que la législation du travail lituanienne s’appliquait puisqu’il s’agissait de travailleurs détachés. Le tribunal a conclu que la Belgique était le pays d’emploi habituel des chauffeurs routiers, ce qui rendait le droit du travail belge applicable au contrat de travail dans son intégralité, y compris donc les règles relatives au salaire minimum. 

Les constatations ont révélé que les travailleurs ne se rendaient que sporadiquement au siège de l’entreprise en Lituanie. De nombreux travailleurs n’avaient même pas la nationalité lituanienne et ne résidaient pas réellement dans le pays. Pour les ressortissants de pays tiers détachés, l’entreprise demandait un permis de travail au gouvernement lituanien, alors qu’ils ne résidaient pas dans le pays. L’adresse indiquée était celle d’un hôtel en Lituanie. 

Selon le tribunal, l’intention était clairement de faire travailler les camionneurs depuis l’Europe de l’Ouest et non pas depuis la Lituanie. À la fin de leur période d’emploi, ils retournaient à leur lieu de résidence dans leur pays d’origine hors de l’UE, et non en Lituanie. Ils devaient charger des marchandises en Belgique et les transporter ensuite en Belgique ou vers les Pays-Bas, la France, l’Allemagne ou l’Italie. Les chauffeurs de camion devaient séjourner et travailler en Belgique ou dans les pays voisins pendant des périodes de plusieurs semaines et passaient régulièrement la nuit dans un parking du port. Ils percevaient le salaire minimum lituanien. 

En ce qui concerne la prévention de traite des êtres humains, le tribunal a rappelé que l’infraction de traite des êtres humains exige une intention particulière d’exploiter la main-d’œuvre dans des conditions inhumaines. Cette intention peut être déduite des faits matériels. 

Le simple fait qu’un emploi ne soit pas conforme à la législation sociale (applicable) n’équivaut pas forcément à un emploi contraire à la dignité humaine. D’autres éléments doivent être concomitants. Le tribunal a estimé que la police et les services d’inspection n’avaient pas mené d’enquêtes suffisamment concrètes sur les conditions (de vie) dans le parking. Le fait que les chauffeurs routiers passent très souvent la nuit dans leur camion sans pouvoir rentrer chez eux constitue un régime de travail pénible. Mais selon le tribunal, un tel régime de travail n’est ni inhabituel dans le secteur du transport international, ni interdit. En outre, cela était compensé par des périodes de congé de plusieurs semaines. 

Les prévenus ont choisi un modèle d’entreprise qui tirait parti de l’application de la législation sociale lituanienne. Cela leur permettait d’offrir des prix plus compétitifs. Cet avantage concurrentiel était toutefois illégal, car les chauffeurs routiers avaient en réalité droit à des conditions salariales belges. Mais cela n’indique pas en soi de la traite des êtres humains. 

Le tribunal a jugé que les prévenus ont profité d’une faille dans la réglementation lituanienne pour obtenir valablement des permis de travail pour des ressortissants de pays tiers qui ne vivaient pas réellement dans le pays. Le dossier ne montre pas qu’ils ont abusé de la situation de séjour précaire de ces chauffeurs routiers. 

Compte tenu de toutes les circonstances, le tribunal a conclu que s’il y avait bien eu dumping social, il n’avait pas été suffisamment prouvé que les prévenus avaient  eu l’intention d’employer leurs travailleurs dans des conditions contraires à la dignité humaine. Ils ont été acquittés pour la traite des êtres humains, mais reconnus coupables des autres préventions.

Cette décision a fait l’objet d’un appel.