Le tribunal s’est penché sur un dossier de trafic d’êtres humains par canots en mer du Nord dans le cadre d’un réseau de passeurs irako-kurdes. Un prévenu de nationalité iranienne était poursuivi en tant qu’auteur ou coauteur de trafic d’êtres humains aggravé en octobre 2021. Trois victimes et Payoke s’étaient constitués parties civiles. Trois victimes, toutes de nationalité iranienne, avaient obtenu le statut de victimes de trafic d’êtres humains avec circonstances aggravantes.

À l’automne 2021, à la suite d’un appel de détresse, une embarcation avait été localisée en mer du Nord. Une opération de sauvetage s’en était suivie, au cours de laquelle certains passagers avaient été transportés par hélicoptère à l’hôpital pour y recevoir des soins d’urgence. Au total, vingt-quatre personnes se trouvaient à bord de l’embarcation, qui semblait être en mer depuis plus d’une journée, au large des côtes du nord de la France.

Les entretiens avec différentes personnes à bord ont révélé qu’elles se sentaient victimes de trafic d’êtres humains, mais l’une d’elles, le prévenu, a spontanément déclaré avoir été impliquée dans les pratiques de trafic d’êtres humains. Selon son récit, les passeurs lui avaient dit qui avait payé dans les camps et il avait escorté les migrants jusqu’aux plages. D’après lui, environ six passeurs étaient actifs sur les plages entre Dunkerque et Calais. Le numéro un de l’organisation résidait à Londres tandis que le numéro deux séjournait en Turquie. Comme il y avait des problèmes dans les camps de la « jungle » de Calais, il a voulu partir lui-même pour le Royaume- Uni. Ils étaient environ une vingtaine de personnes à bord et, au bout de 30 minutes, le moteur est tombé en panne. Ils ont ensuite passé deux jours à dériver en mer sans nourriture ni boisson. À hauteur du parc éolien, ils ont à nouveau eu accès au réseau, ce qui leur a permis de passer un appel d’urgence.

Lorsque l’homme a appris qu’il était lui-même considéré comme suspect pour avoir coopéré au trafic d’êtres humains, il s’est à nouveau rétracté. Il a été arrêté et poursuivi pour trafic d’êtres humains. Au cours de l’enquête, plusieurs téléphones portables ont été trouvés chez lui, ainsi que de l’argent liquide.

Les trois victimes ont également été interrogées, une analyse « retro-zoller » a été effectuée sur un numéro de téléphone, des informations ont été demandées à l’étranger et les 16 téléphones portables trouvés ont été consultés. Il ressort des déclarations des victimes qu’environ six passeurs étaient actifs sur les plages et qu’ils faisaient usage de violence et de sprays au poivre à l’encontre des personnes transportées clandestinement. Le prévenu a été reconnu par au moins une victime comme étant celui qui tenait la barre du bateau. À l’étranger, il était connu pour plusieurs faits criminels ; il avait même été condamné à 13 ans de prison pour vol à main armée. L’enquête de téléphonie a révélé que les prévenus communiquaient souvent sur les personnes qui avaient payé et étaient autorisées à monter sur les canots, sur le paiement aux « bureaux » de Londres et de Turquie, sur la procédure d’asile au Royaume-Uni, sur la réservation d’hôtels dans la région de Calais, etc.

Selon le tribunal, le prévenu devait être considéré comme un passeur. La recherche d’un avantage patrimonial est l’un des éléments constitutifs de l’infraction de trafic d’êtres humains, et non sa réalisation effective. Pour qu’il y ait déclaration de culpabilité pour corréité, il faut que le prévenu ait su qu’il contribuait au trafic par son acte, sans qu’il faille avérer une intention ou l’obtention d’un avantage patrimonial, direct ou indirect. On peut également entendre par avantage, par exemple, la propre traversée du prévenu gratuite ou à prix réduit.

Le prévenu a mis en danger la vie des personnes passées clandestinement. Ils ont passé deux nuits entières sur une mer agitée dans une embarcation totalement inadaptée prenant l’eau, dont le moteur hors-bord était en panne. Il n’y avait ni navigation, ni signalisation. Les gilets de sauvetage étaient totalement inadaptés. Il était parfaitement plausible que le voyage se termine de manière fatale, la mer du Nord étant l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Les victimes n’avaient pas d’autre choix en raison de leur situation précaire.

Les seuls éléments qui étaient encore quelque peu en faveur du prévenu étaient le fait qu’il était prêt à donner les noms des (autres) passeurs et qu’il s’était également exposé à des conditions mortelles en se joignant à la

traversée.

Il avait été condamné à six ans de prison et à une amende de 184.000 euros. Deux victimes avaient reçu une indemnisation de 500 euros à titre de préjudice matériel et de 2.500 euros à titre de préjudice moral. Une victime avait obtenu une indemnisation matérielle et morale de 2.001 euros et Payoke avait reçu 2.500 euros de dommages et intérêts.

Un appel a été interjeté par le prévenu et la cour d’appel de Gand a réexaminé l’affaire dans un arrêt du 15 février 2023 . La cour a confirmé le jugement dans les grandes lignes.