Quinze prévenus, certains de nationalité irakienne et d’autres de nationalité britannique d’origine irakienne, ont été poursuivis pour trafic d’êtres humains. Il y était question d’un réseau international kurde bien organisé avec des collaborateurs en Belgique, en France, en Espagne, en Angleterre et au Kurdistan.

Le dossier a été constitué à partir d’observations, de constatations policières, d’enquêtes de téléphonie, de lectures de téléphones portables, d’informations du dossier d’enquête français (notamment d’écoutes téléphoniques), de contacts via Messenger ou un profil Facebook, de photos et de fragments vidéo sur les téléphones portables, d’enquêtes ADN, d’analyses d’indices (empreintes digitales dans une camionnette ayant servi au trafic), de perquisitions, de déclarations de victimes et de co-prévenus et d’aveux, de prises en flagrant délit.

Généralement, les victimes n’étaient pas disposées à coopérer à l’enquête. Souvent, elles n’avaient pas l’intention de demander l’asile en Belgique.

Depuis novembre 2017, la bande organisait le transport vers l’Angleterre d’environ 60 personnes par nuit, 3 à 4 nuits par semaine. Les prévenus étaient poursuivis pour trafic d’êtres humains et rébellion. Les victimes payaient entre 3.500 et 1. 000 euros pour un itinéraire garanti, en fonction du mode de passage. L’organisation cachait les victimes dans des camions dont les chauffeurs ne se doutaient de rien.

La plupart des membres de la bande auraient été armés et n’auraient pas hésité à recourir à la violence vis-à-vis des victimes et des services de police. Des menaces étaient proférées verbalement et physiquement à l’encontre des victimes et il était question de port d’armes. Lors de plusieurs interceptions policières, les véhicules avaient été utilisés comme armes pour emboutir les services de police. Les passeurs avaient aussi sauté d’un véhicule en marche alors que des victimes étaient encore à bord. Lors d’une interception, les services de police avaient remarqué qu’une camionnette était surchargée. Ils ont exhorté le chauffeur à s’arrêter, mais celui-ci a refusé. Les policiers ont donc tiré dans un pneu arrière. À bord de la camionnette, il y avait 31 personnes, dont 6 mineurs d’âge. Les passeurs avaient retiré la cloison qui les séparait des victimes et s’y étaient mêlés afin de ne pas être identifiés comme passeurs. L’enquête et les interceptions ont souvent eu lieu au-delà des frontières, en coopération avec les services de police français et néerlandais.

Une autre victime a affirmé avoir été menacée avec une kalachnikov après avoir fait des déclarations à la police.

En outre, ils ont mis les victimes en danger en les transportant dans des fourgons réfrigérés, et même dans une citerne avec de la poudre de sulfate de fer. Les victimes ont donc eu besoin de soins médicaux lors de leur libération.

Les victimes sont souvent d’origine irakienne et ont généralement été embarquées dans la « jungle » de Calais. Elles étaient approchées via les médias sociaux, Facebook principalement. Il s’agissait souvent de femmes enceintes et de jeunes enfants, parfois même de petits bébés. Le paiement était effectué par l’intermédiaire d’un bureau de change en Irak. Une fois le dépôt des fonds confirmé, les victimes étaient adressées à un chauffeur de camionnette. Si la transaction vers le Royaume-Uni réussissait, les fonds déposés étaient débloqués au profit de l’organisation de passeurs.

L’organisation était très « professionnelle », recourant à un langage codé sur des canaux de communication moins traçables et à des pseudonymes. Pour compliquer l’identification, des voitures de location et des véhicules empruntés seulement quelques fois et livrés via le Royaume-Uni étaient utilisés.

L’organisation était hiérarchisée et le principal prévenu était considéré comme le chef. Trois autres personnes participaient à la prise de décision en son sein. Ils recrutaient également des victimes dans la « jungle » de Calais. Parfois, les candidats au départ recrutés étaient impliqués dans le réseau de l’organisation criminelle. En outre, ils s’assuraient du bon déroulement des opérations de trafic sur les parkings.

Certains prévenus ont fait valoir qu’ils avaient coopéré aux activités de trafic afin de payer leur propre traversée vers le Royaume-Uni. Ils ne disposaient pas de ressources financières suffisantes et ont donc dû travailler pour l’organisation. Ils ont demandé de la nuance quant à la mince ligne de démarcation entre le coauteur et la victime. Le tribunal n’a pas suivi les prévenus dans ce raisonnement. Le dossier a notamment révélé qu’ils ne sont jamais restés sur place avec les autres victimes et n’avaient aucun bagage. Après avoir déposé les victimes, ils sont immédiatement rentrés dans le nord de la France afin de participer à de nouveaux transports le jour suivant. Par ailleurs, ils changeaient régulièrement de carte SIM. Certains prévenus ont fait valoir qu’ils n’ont jamais tiré de bénéfice pécuniaire. Le tribunal a estimé que la gratuité de passage dont ils ont bénéficié en échange de leur coopération pouvait être considérée comme un avantage patrimonial indirect, un avantage en nature.

Les prévenus ont été condamnés à des peines d’emprisonnement de 11 ans, 9 ans, 6 ans, 5 ans, 4 ans, 2 ans, 40 mois et 30 mois. Les amendes oscillaient entre 80.000 et 720.000 euros.

Un des prévenus a été acquitté. Il disposait d’un statut de séjour légal au Royaume-Uni et était actif dans le commerce de voitures. Il aurait livré deux voitures de Douvres à Calais. Le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments objectifs dans le dossier pouvant démontrer que ce prévenu était impliqué en connaissance de cause et intentionnellement dans les activités de trafic d’êtres humains. Trois prévenus ont été condamnés par défaut.

Diverses marchandises, des véhicules et une somme d’argent de 89.934 euros ont été confisqués.

La décision a fait l’objet d’appel de la part du premier prévenu. La décision est définitive pour les autres prévenus, à l’exception de ceux condamnés par défaut.